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DROIT DES ETRANGERS

EXPULSION D'UN RESSORTISSANT SOUDANAIS CONTRAIRE A LA CONVENTION EUROPEENNE

Cour européenne des Droits de l'Homme 15 janvier 2015, n° 80086/13, aff. A.F. c. France

Le requérant est un ressortissant soudanais résidant à Mulhouse. Originaire du Sud-Darfour, de l’ethnie tunjur, il rejoignit l’université d’Eljazira à Karthoum au moment où le conflit armé, en 2006, battait son plein. Il indique qu’il participa à des groupes de discussion sur le Darfour et les actes de violence perpétrés par le régime avec l’aide des Janjawids et qu’il fut plusieurs fois arrêté, détenu et battu par des agents des services de sécurité soudanais. Il quitta le Soudan le 10 mars 2010. Arrivé sur le territoire français, il déposa une demande d’asile qui fut rejetée le 21 juin 2011 par l’OFPRA. Il introduisit un recours devant la CNDA, à l’appui duquel il produisit entre autres pièces une lettre d’un mouvement rebelle au pouvoir en place, attestant qu’il aurait fait l’objet de poursuites et d’arrestations répétées par les forces gouvernementales. Le CNDA confirma la décision de rejet de l’OFPRA.

Le 31 juillet 2013, le requérant fit l’objet d’une obligation de quitter le territoire qu’il contesta en vain devant le tribunal administratif de Strasbourg. Après avoir tenté de déposer une nouvelle demande d’asile sous une fausse identité, il fut interpellé et placé en centre de rétention. Le 19 décembre 2013, il saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Celle-ci lui fut accordée pour la durée de la procédure devant la Cour.

La Cour rappelle que les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays.

S’agissant de la situation générale au Soudan, la Cour a récemment rappelé que la situation des droits de l’homme dans ce pays était alarmante, en particulier pour les opposants politiques. Elle note que depuis le début de l’année 2014, la situation s’est encore détériorée. Les forces gouvernementales, appuyées par des milices, conduisent d’importantes opérations armées dans les régions du Darfour du nord et du Darfour du sud, région d’origine du requérant. Ces actions visent à combattre les groupes rebelles mais engendrent d’importants dommages parmi les populations civiles. Les rapports internationaux consultés font également état de ce que les individus suspectés d’appartenir ou de soutenir les mouvements rebelles continuent d’être arrêtés, détenus et torturés par les autorités soudanaises. La Cour note, en outre, qu’il ressort des données internationales disponibles que certaines catégories de la population sont particulièrement à risque au Soudan, notamment les membres de mouvements politiques d’opposition, les personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec des groupes rebelles darfouris, les étudiants, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. De plus, comme l’a rappelé la Cour, il apparaît que les individus encourant un risque de mauvais traitement ne sont pas uniquement les opposants au profil marqué, mais toute personne s’opposant ou étant suspectée de s’opposer au régime en place.

La Cour relève, en outre, que la lecture des rapports internationaux démontre que la seule appartenance d’un individu à une ethnie non arabe du Darfour entraîne pour ce dernier un risque de persécutions et qu’il n’existe aucune possibilité de relocalisation dans le pays.

En l’espèce, le requérant fait valoir que ses risques de mauvais traitements en cas de retour sont liés à deux éléments : son appartenance à l’ethnie tunjur et ses liens supposés avec le JEM.

S’agissant du premier élément, le requérant verse aux débats une attestation de l’Union du Darfour au Royaume-Uni du 2 février 2012 confirmant son appartenance à l’ethnie tunjur. La Cour constate que le Gouvernement remet en cause l’appartenance du requérant à cette ethnie en se fondant sur les motivations de ses instances nationales à cet égard. Si l’OFPRA et la CNDA ont effectivement estimé que « les déclarations du requérant sont restées évasives et parfois confuses tant sur ses origines ethniques que sur la région dont il allègue être originaire », la Cour note qu’elles l’ont fait sans indiquer les motifs fondant leurs suspicions. La Cour ne trouve pas d’éléments suffisamment explicites dans ces motivations pour la faire douter de l’origine ethnique du requérant et considère donc celle-ci comme avérée. Il ressort des données internationales consultées que l’ethnie tunjur est une des ethnies non arabes du Darfour. La Cour ne peut donc que considérer, avec le requérant, que son appartenance ethnique constitue un premier facteur de risques en cas de retour au Soudan.

S’agissant du second facteur de risques évoqué par le requérant, la Cour constate que le récit fait par ce dernier des mauvais traitements dont il aurait été victime en raison de ses liens supposés avec le JEM est particulièrement circonstancié et qu’il est compatible, notamment au niveau des dates et des lieux désignés comme ayant fait l’objet d’attaques de la part des forces de l’ordre, avec les données internationales disponibles. Si la Cour estime, avec le Gouvernement, que les documents émanant du JEM ne sauraient suffire à eux seuls à prouver les faits allégués, le certificat médical qui atteste de la présence de plusieurs cicatrices sur le corps du requérant que le médecin déclare « compatibles » avec les dires de ce dernier rend néanmoins vraisemblables les allégations de torture et les liens, supposés par les autorités soudanaises, du requérant avec le JEM.

Concernant les incohérences dans le récit du requérant relevées par la Gouvernement, la Cour est d’avis qu’elles ne suffisent pas à remettre en cause les faits allégués par le requérant.

La Cour ne considère pas non plus que la demande d’asile présentée par le requérant sous une fausse identité discrédite l’ensemble de ses déclarations devant elle. Elle note, en effet, que si le récit du requérant dans cette demande d’asile différait de celui fait initialement quant aux dates et à la manière dont il aurait quitté son pays, les risques de persécution invoqués étaient exactement les mêmes, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le Gouvernement.

Au vu de la méfiance témoignée par les autorités soudanaises à l’encontre des darfouris ayant voyagé à l’étranger, la Cour estime enfin probable que le requérant, à son arrivée à l’aéroport de Khartoum, attire l’attention défavorable de ces dernières en raison de ses quelques années passées à l’étranger.

En conséquence, la Cour considère que, compte tenu du profil du requérant et de la situation de violences endémiques perpétrées à l’égard des membres des ethnies darfouries, son renvoi vers le Soudan l’exposerait, au vu des circonstances de l’espèce, à un risque de mauvais traitements au regard de l’article 3 de la Convention. Elle estime donc que la mise à exécution de la mesure d’éloignement du requérant vers le Soudan emporterait violation de l’article 3 de la Convention.

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